Jean-Louis Bellaton « Je suis horrifié de la façon dont on gère cette crise » – Le Progrès 21/04/2020

Jean-Louis Bellaton "Je suis horrifié de la façon dont on gère cette crise" - Le Progrès 21/04/2020

Le Progrès – 21 avril 2020

BEAUJOLAIS/SAINT-GEORGES-DE-RENEINS

Jean-Louis Bellaton, médecin de campagne pendant 50 ans, a envoyé au  Quotidien du médecin un courrier pour donner son opinion sur la gestion de la crise sanitaire. Nous avons eu accès à ce document et avons voulu en savoir plus. Rencontre.

Il y a une semaine, Jean-Louis Bellaton, 76 ans et médecin de campagne pendant 50 ans [NDLR : toujours inscrit à l’Ordre des médecins, il a cessé son activité il y a tout juste un an], a écrit au  Quotidien du médecin . Un courrier où l’homme explique, sans filtre, son point de vue sur la gestion de la crise sanitaire actuelle. « Je l’ai aussi envoyé à quelques amis médecins. Et cela a fait boule de neige. Il a été divulgué à mon insu », précise-t-il.

Quel est votre point de vue sur la gestion de la crise du Covid 19 ?
« Je suis horrifié de la façon dont elle est traitée. Il y a beaucoup de questions d’éthique. J’ai connu, en tant qu’interne à Saint-Étienne et en Isère, dans les années 69/70, des épidémies de grippes asiatiques, qui faisaient beaucoup plus de morts, et il n’y avait pas les services de réanimation avec assistance respiratoire à l’époque. Cette pandémie était largement prévisible. Il y en a toujours eues, et des pires que celle-ci. Avant, un seul bateau apportait la peste. Alors vu la mobilité de notre société, ce n’est pas étonnant. J’ai toujours été conscient que cela arriverait. »

Que pensez-vous de la mise en place d’un confinement ?
« Qu’on mette en place un confinement pour ne pas surcharger les services de réanimation, c’est une chose. Mais on est en plein délire en ce moment ! On verbalise les gens autour de chez moi car ils vont se promener dans les vignes sans attestation, alors qu’ils sont à quelques mètres de leurs habitations ! On ne peut pas être deux dans une voiture, alors qu’on dort ensemble ! Les gens qui mettent tout ça en place ne pensent pas aussi à toutes ces personnes à qui on interdit de travailler (restaurateurs, bars, certains marchés…). Les grands décideurs, eux, ils ont leur paie à la fin du mois. Cela me révolte. On n’empêche pas les gens de conduire, même s’il y a des morts sur la route ! »

Que faudrait-il faire alors ?
« Qu’il y ait une immunité collective et faire comme les Suédois. Qu’un maximum de gens l’attrapent. C’est ainsi que la pandémie a des chances de s’arrêter. Ce n’est pas en prolongeant le confinement jusqu’au 11 mai que tout sera réglé. Le Covid va continuer à se promener ! Et on ne va pas se confiner jusqu’à ce qu’ils aient trouvé un vaccin, d’ici six mois ou un an ! On va trop loin. »

Que pensez-vous de l’hydroxychloroquine ?
« En tant que médecin de famille, j’en ai prescrit pendant cinquante ans, sous différentes formes à des gens qui partaient en Afrique par exemple, ou encore pour des maladies rhumatismales. C’était des traitements au long cours et je n’ai jamais eu d’emmerdes ! Par contre, j’ai dû hospitaliser des patients pour des hépatites graves liées au paracétamol, sans parler des hémorragies digestives sous aspirine ! Ce sont nous, les médecins, qui sommes en première ligne et on nous interdit aujourd’hui d’en prescrire ? Cela me rend fou furieux. [NDLR : le médicament peut être prescrit, mais les pharmacies ont ordre de ne pas en donner, les stocks étant réservés aux hôpitaux]. Nous n’avons pas encore la preuve absolue que cela fonctionne, mais il n’y a rien d’autre pour l’instant ! Donc c’est mieux que rien. Et si demain on voit que cela soigne le Covid, certains pourront se reprocher de l’avoir réservée aux hôpitaux. »

Vous avez contracté le virus il y a quelques semaines. En avez-vous pris ?
« J’ai eu le Covid il y a environ cinq semaines [N.D.L.R. : il a été testé positif en laboratoire] et mon amie aussi. Avec mes soucis de santé, je fais partie des personnes à risque. J’ai tout de suite pris de l’hydroxychloroquine (nivaquine et antibiothérapie) et j’en ai aussi donné à une dizaine de proches, qui étaient également malades du Covid. J’en avais acheté quelques boîtes avant que cela soit interdit. J’ai pris ce traitement pendant huit jours, mais après 5-6 jours, j’allais déjà de nouveau très bien. »

Vouloir éviter la mort est pourtant une noble cause. Ce n’est pas votre vision ?
« J’ai connu, à trois reprises dans ma vie, la mort à bout portant. Vous savez, quand vous vous voyez passer de l’autre côté… Une première fois à 10 ans et demi, suite à une tumeur. Le chirurgien m’a surnommé “le rescapé”. Une deuxième fois, à 26 ans. Je remplaçais un médecin et un fou m’a tiré dessus à bout portant avec un 22 mm, à Saint-Étienne. Enfin, à 46 ans, après un rêve prémonitoire, j’ai eu un grave accident de voiture et j’avais 95 % de “chance” de mourir. Par ailleurs, en tant que médecin de campagne, on habillait aussi les morts. Alors, cela nous donne une vision spéciale. Je suis écœuré de voir comment on affole par l’idée de la mort une population infantilisée. La vie, c’est la mort. »

Avec ses Chroniques d’un médecin de campagne, son 6e ouvrage, Jean-Louis Bellaton retrace sa vie de docteur, intense, riches de rencontres.

Jean-Louis Bellaton « Je suis horrifié de la façon dont on gère cette crise » – Le Progrès 21/04/2020

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Propos recueillis par Dorothée ROBINE  • Le Progrès – 21 avril 2020

Chronique d’un médecin de campagne